Le défi le plus crucial pour les pays occidentaux aujourd’hui est celui de la liberté. Non pas la liberté souvent confondue avec la souveraineté, l’indépendance ou l’autonomie, mais celle qui a permis à nos sociétés de bâtir une civilisation où chacun pouvait espérer se libérer progressivement de ses servitudes. Il est temps de hisser haut et fort le drapeau de cette liberté.
La construction de notre civilisation européenne a été un long et douloureux chemin, marqué par des erreurs et des épreuves. Mais au fil du temps, une vision commune des fondements d’une vie épanouissante pour le plus grand nombre a émergé. Cependant, sous l’influence d’un relativisme et d’un matérialisme exacerbés, cette trajectoire a été menacée. La mise en équation et en code de nos vies est devenue un réflexe, et l’horizontalité négociable du cadre juridique s’est imposée comme une réalité incontournable. La tyrannie de l’avis personnel sur le bien commun a rapidement fragilisé le modèle subtil que tant d’autres civilisations nous enviaient. L’évacuation dogmatique du mystère et du don a suivi, nous poussant inconsciemment vers un référentiel propice à tous les égarements.
Victimes d’illusions
La tentation de la paresse, de l’apathie et de la délégation, amplifiée par le développement non maîtrisé de l’intelligence artificielle, pourrait-elle affecter nos capacités de résistance et d’audace ? L’homogénéisation et la pasteurisation de nos références culturelles et morales, véhiculées à grande vitesse par les réseaux d’information, appauvriraient-elles inéluctablement nos capacités intellectuelles et créatrices ? Assis confortablement, les yeux rivés sur nos écrans, ne voyons-nous pas les changements désastreux qu’ils produisent dans nos vies ? Nos solitudes se rangeraient-elles durablement les unes à côté des autres ? Mobiliser toutes les ressources pour se préparer à la guerre nous semblerait-il normal ? Considérer que seuls les plus forts, les plus armés, les plus rustres ou les plus cupides gagneront deviendrait-il la norme ? Serions-nous de plus en plus impuissants face à nos détresses psychologiques ou émotionnelles, face à notre incapacité à nous engager, ou pire, face au désir d’un monde meilleur ? Bref, une civilisation violente, triste, désabusée et insipide émergerait-elle inéluctablement de nos renoncements ? Je n’ose le croire.
Libres et vainqueurs
Jamais l’occasion n’a été plus grande de capitaliser sur ce que nous avons de plus précieux : notre liberté de penser, de créer et de bâtir le monde dans lequel nous désirons vivre. Humblement, là où la vie nous a placés, avec les talents et les ressources qui sont les nôtres. Concrètement, dans l’entreprise, l’administration, l’organisation, l’association, la collectivité, le cercle familial ou amical dans lesquels nous vivons. Efficacement, en nous attaquant résolument à tout ce qui gangrène, affadit et appauvrit nos existences. Sans rechercher piteusement des coupables, sans mépriser ni exclure des pans entiers de nos sociétés sous prétexte qu’ils ne sont pas comme nous ou moins performants. Notre trésor se cache paradoxalement dans ce que le reste du monde méconnaît ou gaspille. Loin des idoles, des images, des « likes », des « make great again » et des « must have ». Les singularités de nos corps hurlent notre vocation à la liberté, surtout lorsqu’ils sont entravés par la maladie, le handicap ou la privation. Nos esprits étouffent dans les carcans de la bien-pensance ou de la reproduction infinie de modèles de référence artificiels, éculés ou tyranniques. Nos coeurs sont capables d’aimer et de se donner bien plus que les conventions sociales, éducatives ou récréatives ne le laissent généralement penser.
C’est un devoir (et, entre nous, une grande espérance) pour toute personne appelée au leadership de mobiliser et d’unir autour d’un vrai projet partagé tous les talents et toutes les ressources dont elle est responsable. L’heure n’est ni à la fuite, ni à l’attentisme, ni au renoncement. Nous avons reçu des vies trop belles et uniques pour se contenter d’exister. Cette conscience de notre liberté nous est acquise. Elle git encore inanimée. Saurons-nous l’embrasser et la sortir de son trop long sommeil ?