08/04/2022
Les bons chiffres de l’emploi ne doivent pas masquer l’étonnante mutation en cours du rapport au travail. Les constats dont la presse se fait largement l’écho depuis quelques mois posent de vraies questions qui commandent en sourdine la solidité future de notre croissance.

De plus en plus de salariés ont adopté d’improbables comportements dans l’accomplissement de leurs missions : rupture soudaine de collaboration très rapidement après l’embauche, refus de revenir travailler régulièrement dans les locaux de l’entreprise après des mois de télétravail forcé, réticence des jeunes générations à accepter des responsabilités de manager, distance marquée vis-à-vis des orientations stratégiques ou opérationnelles impulsées d’en haut, etc. Ce constat – qu’on se garde bien de traiter à la hauteur de l’enjeu par négligence ou facilité, mais surtout désarroi – nous dit cependant quelque chose des impératifs qui s’imposeront inéluctablement aux chefs d’entreprise.

Il ne suffira plus de maîtriser parfaitement la règle du jeu.
Maints dirigeants ou responsables ont encore du mal à penser et placer leur réflexion au-delà des modèles et représentations que leurs parcours leur ont appris à piloter parfaitement. Les réorganisations incessantes de leurs entités, le recours insensé à des outils de production ou de pilotage sans visage, la virtualité et l’unilatéralité de leurs objectifs, la dictature de la performance et de la réputation dans les seules sphères de l’entre-soi cisaillent sournoisement les fragiles liens de l’affectio societatis. Les jeunes générations vivent difficilement cette conformité, pour ne pas dire cette reproduction conformiste de modèles à bout de souffle. Les plus âgés feignent et s’arrangent astucieusement pour s’inventer des existences apparemment affairées, mais en fait vides de tout accomplissement.

On ne peut plus penser l’action en dressant une muraille entre vie sociale et vie professionnelle.
Il ne s’agit pas seulement de la récurrente et prégnante aspiration du plus grand nombre à préserver l’équilibre vie pro/vie perso si symptomatique des réflexes de protection qui se multiplient çà et là. Mais, pour paraphraser Antoine Riboud dans son fameux discours de Marseille, « la vie de tout être humain ne s’arrête pas au seuil de l’entreprise« . Et pas seulement d’un point de vue RSE. Le bouillon social, culturel et éthique dans lequel nous sommes plongés déborde largement dans les ateliers et les bureaux. Et il convient de savoir ce que l’on veut (ou peut) en faire pour redonner au travail individuel et collectif toute sa noblesse. Pour faire en sorte qu’il y ait une vraie joie à mettre en commun ressources, talents et désirs au sein de cette étonnante merveille qu’est une entreprise. Pour faire en sorte que la famille, les RTT, les loisirs, les arrêts de travail, des cursus de formation superfétatoires, le recours compulsif au télétravail, les ruptures conventionnelles aux frais de la collectivité ou le départ à la retraite ne soient plus considérés comme les seules échappatoires à l’ennui, la vacuité ou la désespérance de l’activité professionnelle.

C’est à une véritable conversion personnelle et collective que nous sommes tous appelés.
Et cela peut même être une superbe opportunité pour s’engager dans des processus d’innovation répondant autant à la quête de sens qu’aux impératifs de compétitivité qui s’imposent à tous les niveaux. Car le « boulot » de l’humanité n’est pas terminé ! Des millions de personnes ont toujours besoin de se loger ou de s’habiller ; d’autres de pouvoir accéder à une alimentation saine dont la production sera toujours plus respectueuse de l’environnement ; d’autres encore de pouvoir accéder à des moyens de transport, de soin, de communication, de formation, de financement ou d’assurance dignes de ce nom. Et les solutions ne seront pas que technologiques, internationales et transactionnelles. Elles auront parfois un accent très local et une existence déconnectée des réseaux. Elles tireront aussi avantage de l’irremplaçable dextérité d’une main, de la chaleur d’un sourire ou de l’humilité d’une présence. Elles prendront le risque de la confiance, voire du désintéressement. Elles ne se plieront pas automatiquement aux modèles de captation, d’emprise et de perception de dîme qui semblent s’imposer partout et sans résistance. Chaque être humain a une mission à remplir, un rôle à jouer, une contribution à apporter. Non en partant systématiquement de soi, d’une conformité avec les lois et l’esprit du temps ou d’un hypothétique droit à un « pouvoir d’achat » (expression symptomatique d’un dangereux rétrécissement de la vision), mais en visant la joie et la fierté de participer à un Bien Commun qui nous dépasse.

Il ne s’agit pas ici d’une option philosophique ou éthique.
C’est une impérieuse nécessité pour tout organisation qui n’a pas vocation à imploser sous la pression de règles du jeu qui lui échapperaient. Cela convoque notre liberté et notre conscience, mais nous avons tous les moyens de donner naissance à des « raisons d’être » et des visions stratégiques porteuses de sens et d’espoir pour des générations de clients, partenaires et collaborateurs qui ont plus que jamais besoin de s’engager autour de projets auxquels ils croient.

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